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    L'historien d'art Thierry de Duve étudie un cas de confusion dans la détermination du statut des photographies. Celui de l'exposition Photographs from S 21: 1975 1979 au MOMA en 1997, qui rassemblait les portraits de presque cent victimes du génocide cambodgien.

    Leur auteur, Nhem Ein, était un adolescent contraint par la dictature d'officier comme photographe en chef dans un camp de concentration. L'auteur n'était pas un professionnel de la photographie et n'avait aucune intention personnelle, si ce n'est celle de sa survie. Thierry de Duve étudie la manière dont on expose ces photographies qui change la perception que l'on se fait d'elles et leurs caractéristiques.

    Pourquoi expose-t-on des archives photographiques de génocide comme on expose un travail documentaire d'artiste ? Ces images sont le produit d'un dispositif politique ou d'une situation historique, plus qu'une œuvre d'auteur. « Elles sont des archives, que l'historien peut ensuite traiter comme documents et le spectateur voir comme portrait. » Thierry de Duve montre qu'une fois exposée, l'archive se voit ajouter une valeur qui est « illocutoire » et qui varie en fonction des modalités d'exposition. Normalement, par souci d'intégrité, les images devraient être accompagnées d'un discours ou d'un texte qui permettent de contextualiser le travail. Cependant, ce n'est pas toujours le cas. Il cite le cas du MOMA qui a acheté les portraits de Nhem Ein. Ces photographies ont fini par acquérir une légitimité artistique à force d'avoir été portées à l'appréciation esthétique. Mais en soi, « Les photographies prises à Tual Sleng ne sont pas des portraits, parce qu'il n'y a pas eu de rencontre entre Nhem Ein et chaque prisonnier : ce sont des archives. » Dans ce cas précis, l'expertise du MOMA a suffi à faire glisser le statut des photographies vers une nouvelle considération artistique. L'institution que représente le MOMA n'est pas des moindres en matière de photographie. Le poids de ses décisions artistiques peut influencer une bonne partie du monde de l'art. Il s'agit donc bien d'expert qui détermine le statut des œuvres.



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