•  

    The dreadful Details, 2006
    © Eric Baudelaire

     

    Admettons qu'il existe des grands genres photographiques, mais que le caractère documentaire en soit une tradition comme le dit Jean-Marie Schaeffer. Les différents genres seraient en fait un sous-genre du documentaire. Toute photographie, lorsqu'elle se situe dans la lisibilité, la netteté du réel et non dans sa transformation serait considérée comme documentaire. Ensuite, l'image documentaire se divise en plusieurs caractéristiques : une image documentaire à caractère journalistique, une image documentaire à caractère juridique, une image documentaire à caractère familial, une image documentaire à caractère expressif ou artistique. Donc, dans cette acception, on peut imaginer que même le fictif et le narratif puissent acquérir un caractère documentaire. La distinction entre documentaire et fictif est communément nécessaire. Mais la frontière est étroite. On peut le constater avec les photographies d'Eric Baudelaire qui ont fait scandale au festival Visa pour l'image de Perpignan en 2006.

    Celui-ci a reconstitué une scène de guerre en action en Irak, qui aurait été difficilement réalisable sans prise de risque. Eric Baudelaire interroge ainsi le statut de l'image. Il flirte de près avec l'image documentaire, mais tout est faux. Mickael Winterbottom, dans le genre du film documentaire avait également retracé le long parcours de migrants clandestins de l'Afrique vers l'Europe. Le film commence comme un reportage documentaire en caméra fixe et frontale et lorsque le périple commence, la caméra aborde un style plus narratif en usant du format cinématographique de la caméra, montrant ainsi qu'il s'agit d'une restitution. Ce film s'approche de ce qu'on appelle la fiction documentaire, c'est-à-dire que l'on montre par là qu'il ne s'agit pas du fruit de l'imagination d'un créateur, mais d'un film qui reproduit une réalité qui n'a pu être filmé pour diverses raisons.
    Dans l'image de photojournalisme, si sa caractéristique principale est sa commercialisation à la presse la plus offrante, alors le photographe cherche le sujet à la mode, celui qui fait vendre. C'est alors que les dérives de ces photographies entraînent la confusion. Le référent importe uniquement dans son apparence et pas forcément dans ce qu'il est réellement. Une image de presse peut-être utilisée pour illustrer un commentaire et ainsi endosser différentes significations.

    Malgré tout, il est difficile de juger le photojournalisme. Certaines dérives ne caractérisent pas le genre tout entier. Beaucoup de photographes issus du journalisme abordent leurs images sur l'information qu'elles offrent, mais aussi selon d'autres caractéristiques. Il existe d'ailleurs des images qui offrent des aspects documentaires indéniables et jouent leur rôle d'informateur. Certaines flirtent également avec les archétypes de l'art contemporain. Mais leur réseau de diffusion les situe en dehors des sphères artistiques.Admettons qu'il existe des grands genres photographiques, mais que le caractère documentaire en soit une tradition comme le dit Jean-Marie Schaeffer. Les différents genres seraient en fait un sous-genre du documentaire. Toute photographie, lorsqu'elle se situe dans la lisibilité, la netteté du réel et non dans sa transformation serait considérée comme documentaire. Ensuite, l'image documentaire se divise en plusieurs caractéristiques : une image documentaire à caractère journalistique, une image documentaire à caractère juridique, une image documentaire à caractère familial, une image documentaire à caractère expressif ou artistique. Donc, dans cette acception, on peut imaginer que même le fictif et le narratif puissent acquérir un caractère documentaire. La distinction entre documentaire et fictif est communément nécessaire. Mais la frontière est étroite. On peut le constater avec les photographies d'Eric Baudelaire qui ont fait scandale au festival Visa pour l'image de Perpignan en 2006.


    1 commentaire
  •  

    L'historien d'art Thierry de Duve étudie un cas de confusion dans la détermination du statut des photographies. Celui de l'exposition Photographs from S 21: 1975 1979 au MOMA en 1997, qui rassemblait les portraits de presque cent victimes du génocide cambodgien.

    Leur auteur, Nhem Ein, était un adolescent contraint par la dictature d'officier comme photographe en chef dans un camp de concentration. L'auteur n'était pas un professionnel de la photographie et n'avait aucune intention personnelle, si ce n'est celle de sa survie. Thierry de Duve étudie la manière dont on expose ces photographies qui change la perception que l'on se fait d'elles et leurs caractéristiques.

    Pourquoi expose-t-on des archives photographiques de génocide comme on expose un travail documentaire d'artiste ? Ces images sont le produit d'un dispositif politique ou d'une situation historique, plus qu'une œuvre d'auteur. « Elles sont des archives, que l'historien peut ensuite traiter comme documents et le spectateur voir comme portrait. » Thierry de Duve montre qu'une fois exposée, l'archive se voit ajouter une valeur qui est « illocutoire » et qui varie en fonction des modalités d'exposition. Normalement, par souci d'intégrité, les images devraient être accompagnées d'un discours ou d'un texte qui permettent de contextualiser le travail. Cependant, ce n'est pas toujours le cas. Il cite le cas du MOMA qui a acheté les portraits de Nhem Ein. Ces photographies ont fini par acquérir une légitimité artistique à force d'avoir été portées à l'appréciation esthétique. Mais en soi, « Les photographies prises à Tual Sleng ne sont pas des portraits, parce qu'il n'y a pas eu de rencontre entre Nhem Ein et chaque prisonnier : ce sont des archives. » Dans ce cas précis, l'expertise du MOMA a suffi à faire glisser le statut des photographies vers une nouvelle considération artistique. L'institution que représente le MOMA n'est pas des moindres en matière de photographie. Le poids de ses décisions artistiques peut influencer une bonne partie du monde de l'art. Il s'agit donc bien d'expert qui détermine le statut des œuvres.



    votre commentaire

  • - Paul Ardenne et Régis Durand, Images-mondes. De l'événement au documentaire, Monografik editions, 2007.

    - Dominique Baqué, Pour un nouvel art politique. De l'art contemporain au documentaire, Flammarion, 2004.

    - Roland Barthes, La Chambre claire, Cahiers du cinéma, Gallimard Seuil, 1980.

    - Walter Benjamin, Petite histoire de la photographie, Société Française de Photographie, 2005.

    - Pierre Bourdieu, Un art moyen. Essai sur les usages sociaux de la photographie, Les éditions de Minuit, 2003.

    - Philippe Dubois, L'Acte photographique, Nathan Université, 1992.

    - Guy Debord, La société du spectacle, Editions Gérard Lebovici, 1967.

    - Régis Durand, Le temps de l'image, Essai sur les conditions d'une histoire des formes photographiques, collection Mobile Matière, édition La différence, 1995.

    - Régis Durand, Michel Poivert, L'ombre du temps, éditions du Jeu de Paume, 2004.

    Tony Godfrey, Conceptual art (et en particulier Looking at others. Artists Using photography), Phaidon, 1998.

    - Nathalie Heinich, Expertise et politique publique de l'art contemporain: les critères d'achat dans un FRAC. Sociologie du travail, 1997.

    - Rosalind Krauss, Le Photographique. Pour une théorie des Ecarts, Macula, 2006.

    - Rosalind Krauss, Notes sur l'index L'art des années 1970 aux Etats-Unis, Macula, 1979.

    - Olivier Lugon, Le style documentaire. D'Auguste Sander à Walker Evans, 1920 – 1945, Macula, 2001.

    - Raymonde Moulins, L'artiste, l'institution et le marché, Flammarion art, histoire, société, 1992.

    - Jorge Ribalta, Archivo Universal, la condición del documento y la utopía fotografía moderna, guide de l'exposition, Editions MACBA, 2008

    - André Rouillé, La photographie, Folio essais, 2006.

    - Abigail Solomon-Godeau, Torture à Abou Ghraib : les médias et leur dehors, paru dans Multitudes n°28, printemps 2007.

    - August Sander, Photography as a universal language, from The nature & growth of photography, extrait de Photography : current perspectives, Light impressions, 1978.

    - Allan Sekula, On the Invention of Photographic Meaning, in Photography in Print, anthology edited by Vicki Goldberg, New-York, Simon and Schuster, 1981.

    - Allan Sekula, Photography Against the Grain. Essays and photo works 1973-1983, The Press of the Nova Scotia College of Art and Design, 1984.

    - Susan Sontag, Sur la photographie, Christian Bourgois Editeur, 2000

    - François Soulages, Esthétique de la photographie, Armand Colin Cinéma, 2005.

    - Actes de colloque, Le statut de l'auteur dans l'image documentaire, éditions du Jeu de Paume, 2008


    votre commentaire
  • Coutesy : MACBA; © Allan Sekula 

    Jorge Ribalta[1] montre que, depuis que John Grierson – fondateur du mouvement documentaire britannique à la fin des années vingt – a défini le genre documentaire comme le traitement créatif de l'actualité, le terme n'a cessé d'être rediscuté par les théoriciens. Alors que pratiquement tous les spécialistes de la photographie s'accordent sur la difficulté pour définir la photographie documentaire dans son rapport singulier au monde, nous pouvons tout de même en retirer quelques grands éléments récurrents sur lesquels s'accorder. D'une manière générale, et pour reprendre la définition du dictionnaire, le terme de documentaire vient du latin Documentum qui est ce qui sert à instruire. Dans ce sens, pour Paul Ardenne[2], le documentaire est « Archivage, témoignage, capture de l'air du temps, démonstration sociologique, enregistrement ou pur et simple voyeurisme ». Pour réaliser ce projet il convient que la photographie documentaire mobilise des qualités de luminosité, de netteté et de clarté afin de rendre compte au mieux de la réalité. Ainsi, l'image documentaire se réfère à la réalité afin de renseigner sur celle-ci. Cependant la singularité de la photographie documentaire lui vient de sa signature du neutre. C'est-à-dire que le photographe efface volontairement tout effet indiquant sa présence et sa subjectivité. Ainsi, la photographie documentaire favorise les plans frontaux et neutres afin de marquer cette distance. Mais il est tout de même réducteur de définir la photographie documentaire comme étant une photographie réaliste et neutre utilisant les plans frontaux avec un effet de luminosité, de netteté et de clarté, servant à instruire à travers l'archive, à témoigner, à démontrer, etc. Tout au plus nous pouvons affirmer que la photographie documentaire peut intégrer certains de ces aspects, mais trop nombreux sont les exemples et contre-exemples de ce genre insaisissable. Il existe une réelle ambiguïté du genre et une difficulté radicale pour le définir. Cette difficulté vient du fait que le document et le documentaire sont impliqués dans des champs discursifs différents et font appel à des champs sémantiques spécifiques en même temps. « Le document et l'image documentaire apparaissent non seulement dans le champ artistique, mais aussi notablement dans les sciences sociales et naturelles, en droit, en histoire, etc. »[3]

    Comment envisager dès lors une définition unique pour un genre couvrant autant de courants de pensée ? Le champ des arts plastiques n'aborde pas la photographie de la même manière que les sciences ou le droit. Il existe une différence d'objectif et de sens dans l'élaboration des images qu'il est difficile d'envisager dans une mesure unique. Malgré ce paradoxe apparent, c'est dans le champ des arts plastiques que la photographie documentaire s'est émancipée le mieux. Cette reconnaissance aujourd'hui instituée n'a pourtant pas toujours reçu les meilleures critiques et semble baigner dans une ambivalence qui accompagne la difficulté de la définir. Ces relations ne seraient-elles pas dues justement à ce besoin humain de vouloir la catégoriser à travers une seule et unique définition ? Les institutions artistiques contemporaines acceptent de plus en plus l'introduction d'objets banals, des travaux d'anonymes ou des œuvres d'un temps révolu. Ces propositions plongent le public dans des interrogations ambiguës sur le statut des œuvres et leur légitimité. Cette remarque vaut particulièrement en ce qui concerne la photographie documentaire. D'une part, parce que la photographie a tardé à être montrée dans les musées en France et à acquérir un statut d'art au même titre que la peinture et le dessin, mais aussi parce qu'à première vue, le documentaire englobe autant des photographies de professionnels de la photo, d'artistes plasticiens que d'amateurs.



    [1] Jorge Ribalta, Archivo Universal, la condición del documento y la utopía fotografía moderna, 2008

    [2] Paul Ardenne, Images-Mondes,De l'événement au documentaire, 2004

    [3] Traduit de l'Espagnol du document de préfiguration au catalogue de l'exposition El archivo universal, la condición del documento y la utopía fotográfica moderna, qui a lieu au MACBA de Barcelone du 25 octobre 2008 au 6 janvier 2009



    votre commentaire



    Suivre le flux RSS des articles
    Suivre le flux RSS des commentaires